Médecine et magie africaine, la sorcellerie à votre portée

Ma fille travaille en développement international et s’est toujours intéressée à l’Afrique. Se baladant dans un marché public à Bamako, la capitale du Mali, elle est tombée sur un livre paru en 1965 et réédité en 1983 par Dominique Traoré, intitulé Médecine et magie africaine ou Comment le noir se soigne-t-il.

Publié par la maison d’édition Présence africaine, ce livre compte 568 pages (ISBN 27087059700). Ce livre a été payé 20 $ US, une véritable fortune pour un pays où le salaire moyen par année est de 800 $ (l’équivalent d’une semaine de travail).

Magie, sorcellerie, fétichisme

Dans l’introduction du docteur Jean-Noël Gassita, de Libreville au Gabon, il rapporte que :

« Près de 70 % des populations africaines n’ont recours qu’à la médecine et à la pharmacopée traditionnelle africaine. Laissée pour compte pendant de très longues années, méprisée, pourchassée et associées au paganisme et de charlatanisme durant l’ère coloniale, la médecine traditionnelle africaine est maintenant revalorisée et plusieurs tentent de rendre respect au savoir local africain. »

Selon l’auteur,

« L’art médical africain ne peut se concevoir en dehors du contexte magico-religieux, mystique, où les notions de fétichisme, de magie, de sorcellerie sont intimement liées et s’interpénètrent. »

Les maladies tropicales

Je vous évite toutes les mixtures de plantes, de poils, plumes ou terre destinés à guérir le paludisme, la dysenterie, fièvre jaune ou autres maladies tropicales. Je vous mentionne plus bas quelques recettes qui relèvent plus de la sorcellerie et qui m’apparaissent, ma foi, assez intrigantes.

La rage (morsure de chien)

Cette recette est assez terrifiante :

Manger le foie, grillé sur la braise, de l’animal assommé. Réduire en poudre une certaine quantité des poils de la queue carbonisés, et l’appliquer, pétrie de beurre végétal, sur la morsure. Si l’animal a été excité par la magie, se baigner dans une décoction de gui (Loranthus) de nzaba (Landolphia owariensis) (page 100).

Il existe une série de variantes au remède de la rage comme celle-ci :

Appliquer sur chacune des blessures faites par les crocs de l’animal, une légère couche de fiente de poules. Durée : trois jours de traitement (p 101).

Les multiples sections du livre

Il existe une section complète sur les maladies du système digestif, des poumons, maladies de la peau, articulations, système urinaire et organes génitaux. Voici une série de recettes impressionnantes tirées de ces chapitres :

L’atrophie du membre viril

Prendre une racine d’un anza, se trouvant au bord d’un caniveau d’eau, laquelle a enlevé la terre qui couvre ladite racine. Piler ensemble cette racine, une racine de gonda daji (Annona senegalensis), une zogalagandi (Moringa pterygosperma), un morceau de graisse de ndamo (iguane de terre), une terre humectée de sperme d’âne. Bouillir le tout après pulvérisation. Délayer dans la concoction une farine de mil et s’abreuver de la bouillie claire. Faire usage du médicament trois fois en trois jours pour obtenir une complète guérison (p 133).

Pour arrêter de fumer

Voici deux trucs à essayer entre amis  :

1.  Boire une boisson composée d’une cuillère à soupe de beurre de karité fondu contenant un peu d’eau provenant du lavage des cheveux. Vous fera renoncer à jamais à l’usage du tabac.
   .
2. Uriner sur les feuilles de tabac et les faire sécher. Fumer dans une pipe le tabac sur lequel on a uriné. Fais renoncer à jamais à l’usage du tabac, sous toutes ses formes (p 378).

L’impuissance

Une section complète a été écrite sur l’impuissance. J’aime bien ce petit truc :

Exposer le membre viril au-dessus d’une fumée qui se dégage d’un récipient contenant du charbon allumé, et une poudre obtenue en pulvérisant 99 fruits ou clus de saide (Tribulus terrestris), une tête rouge sèche de margouillat mâle, 9 racines de doundoun (Dichrostachys nutans), une racine de chiriri (Combretum kerstingii) (p 430).

Pratiques superstitieuses et recettes magiques

Plus d’une centaine de pages sont consacrées aux filtres, incantations et autres sorts. Examinons-en quelques unes, aussi bizarres que sympathiques.

Pour retenir une femme

La nuit, introduire clandestinement dans le récipient contenant l’eau de boisson de la personne visée, un placenta sec d’ânesse. Au premier chant du coq, retirer l’objet du pot. Il suffit que la femme, dont on ne désire pas se séparer, goutte un peu du liquide, pour être acquise à jamais. Débarrassez-vous du reste de la boisson pour empêcher d’autres personnes d’en faire usage (p 451).

Pour se faire adorer de sa femme

Se laver le front, les aisselles et le pubis. Pétrir avec le liquide du lavage une pincée de poudre, constituée de racine carbonisée de sounsoun (Diospyros Mespiliformis) croissant à un endroit où les bœufs lèchent la terre salée, des coquilles d’œufs de pintades, une poignée de dioutougouni (Biophytum apodiscias) et un gui (Loranthus). Introduire la pâte obtenue dans une nourriture qu’on offre pour être mangé à la femme à qui on veut s’attacher fortement. Aussitôt ladite pâte absorbée, la personne visée s’attache d’une façon si forte à son mari, qu’elle le suit partout, comme un mouton de case (p 455).

Pour faire une bonne chasse

Baigner la crosse et le canon de votre fusil dans une décoction de gui (Loranthus) de mousso-sana (ostryoderris chevalieri) (p 461).

Pour connaître l’avenir

Introduire dans votre oreiller une peau de hyène ayant passé 7 nuits dans un poulailler (p 477).

La tradition

Tous ces sorts et recettes peuvent nous sembler drôles, dégoûtants, ou dans certains cas même dangereux. Toutefois, bien que l’usage de la médecine traditionnelle soit répandu en Afrique subsaharienne, les remèdes qui nous semblent les plus bizarres ne sont pas nécessairement utilisés par tous, surtout aujourd’hui près de 40 ans après la publication de cet ouvrage.

La médecine dite « moderne », ou occidentale, bien qu’implantée dans la plupart des centres urbains d’Afrique depuis l’ère coloniale, n’est pas toujours adaptée aux populations. Souvent, les remèdes modernes portent des noms français et anglais, et pour qu’un patient comprenne sa situation, le travail du médecin pour vulgariser l’explication du mal, de l’anatomie, et du médicament doit être incroyable, parce qu’une grande population ne connaît pas bien le français, surtout les femmes qui n’ont pas autant accès à la scolarisation.

L’effet placebo

Donc, dans des pays tels que le Mali où les médecins sont rares, où la médecine moderne ne rejoint pas les patients, les populations locales préfèrent souvent avoir recours aux médecins traditionnels, ou aux marabouts. De plus, les psychologues n’existent pas au Mali, et ces marabouts arrivent à parler aux patients et patientes en prenant compte des diverses facettes de leur existence, autant que leurs psychique,  physique et psychologique.

La force de cette médecine symbolique est parfois réelle, et si certains croient dur comme fer à ces remèdes, l’effet escompté se réalise, selon un processus psychosomatique. Pour conclure, il faut aussi reconnaître qu’il y a une réelle demande pour ces services dans ces pays atteints par des endémies et virus multiples, et que la pratique de certains marabouts est en effet lucrative, au dépit des ménages appauvris qui veulent soigner leurs maux et qui connaissent mal la médecine moderne.

Pour commander

Ce livre est toujours disponible à 30 euros (45 $) chez l’éditeur Présence africaine ou à 72,50 $ au Canada à la librairie Renaud-Bray. Amazon France offre aussi plusieurs copies neuves ou usagées bon marché par l’entremise de vendeurs privés. J’ai aussi trouvé le site web français DECITRE qui le propose à 30 Euros.